Goffs Spring Store Sale : les vrais raisons du retour sur terre du marché de l'obstacle britannique

22/05/2024 - Ventes & Shows
Comme attendu, la 1ère vente de 3 ans d'obstacle outre-Manche s'est révélée très difficile par rapport aux précédentes, qui étaient montées jusqu'à des niveaux presque délirants. Il s'agit donc d'un retour sur terre pour les speculateurs de la discipline, mais pour autant pas d'une explosion de la bulle comme le scandent les oiseaux de mauvais augure.


 

Le printemps 2023 présentait des paradoxes très inquiétants, que personne ne voulait voir à l'époque. Les acheteurs irlandais s'arrachaient les foals français d'obstacle, parfois à prix d'or, quitte à multiplier les visites toujours plus précoces chez les éleveurs avant même que ceux-ci ne soient nés ! Les 3 ventes de stores de la fin du 1er semestre, le Spring Store Sale à Doncaster au nord de l'Angleterre, puis la Land Rover à Fairyhouse et la Derby Sale à Kill, ont atteint des sommets mirobolants en terme de tarifs pour les top price, à l'image des ventes de chevaux de Point to Point où on pouvait vendre pour 400.000 € et plus un 4 ans gagnant en débutant face à 3 adversaires au fond d'un champ irlandais, pourvu que les rumeurs soient favorables.

 

 

Et pourtant, des observateurs avisés, comme par exemple les frères Bleahane, importants acheteurs de foals en France et acteurs majeurs des ventes de stores, sentaient déjà venir les vents contraires. Ils s'inquiétaient de voir quelques équipes d'acheteurs professionnels des plus dispendieux mais de moins en moins nombreux, et au contraire de ne plus voir les traditionnelles "green jackets", c'est à dire des riches amateurs anglais, nouveaux riches se déguisant en gentlemen-farmers et se prenant pour des entraineurs d'un jour capables de signer sur leur compte personnel des chèques de 40 à 80.000 € pour la fameuse classe "CSP+" des chevaux en dessous de l'élite.

 


Paul Nicholls avec Tom Malone.

 

Les effets pervers du brexit se font sentir de plus en plus douloureusement. Les courses d'obstacle en Angleterre se sont écroulés en terme de finance et de puissance, à cause de la chute drastique de son propriétariat. Les causes sont multiples et un cercle vicieux s'est engagé. Non seulement, l'Angleterre connaît d'importantes difficultés économiques qui assèchent ses candidats propriétaires, mais aussi les propriétaires se sont fait essorer depuis des années par de nombreux entraineurs anglais plus prompts à vider le portefeuille de leurs candides clients que d'exploiter convenablement la formidable matière reçue en provenance du dépeçage des effectifs français. Pendant ce temps-là, les professionnels irlandais, nés d'une culture de millénaire de combat des pauvres pour survivre face à l'ogre britannique, ont tellement travaillé qu'ils sont parvenus à faire tomber les anglais de leur piedestal. Mais le problème in fine, est que l'Irlande compte 5 millions d'habitants contre 70 millions au Royaume-Uni. Même si elle est très vivace, la clientèle irlandaise a mathématiquement beaucoup moins de flux financiers que l'anglaise.

 


Le top price, un neveu de Master Minded par Jukebox Jury vendu pour 135.000 £

 

Et ce qui devait arriver arriva, précipité par... les précipitations. Car comme en France cet hiver, il pleut des hallebardes depuis si longtemps en Angleterre et Irlande que moultes Point to Point ont dû être annulés. En effet, ces courses "not under rules", qui seraient en France des courses de pays améliorées en obstacle, ne peuvent pas se tenir tout simplement parce que les tracteurs ne peuvent pas rouler dans les champs pour disposer les fences provisoires sans tout défoncer et creuser des ornières fatales. Les dotations de ces courses sont si faibles que leur non-versement ne sont pas un enjeu, mais l'annulation des courses conduit à l'impossibilité de valoriser les jeunes sauteurs de 4 ou 5 ans, dont un bon nombre ont été acquis à 3 ans parmi les gammes moyennes des stores sales. Or, si en Angleterre, les participants des Point to Point sont restés proches de la pure tradition d'amateurs qui terminent leur saison de chasse à courre par ce genre de compétition à vocation de loisir, le circuit irlandais se compose de vrais professionnels qui vivent de la préparation de jeunes sauteurs et de la speculation sur les meilleurs d'entre eux, vendus des fortunes lors de sessions de Cheltenham... jusqu'à présent.

 


Le 2e top price, un fils de Beaumec de Houelle et Tangaspeed vendu pour 110.000 £.

 

La 2e semaine de la mi-mai, bien loin des rayons de soleil qui donnent le sourire et font s'envoler les billets de banque, fut sinistre du côté britannique de la mer d'Irlande. Dans la foulée d'une May Sale très fade à Cheltenham pour Tattersalls, et la veille de chevaux à l'entrainement et Point to Point qui pédale dans la semoule pour Goffs, la 1ère vente de 3 ans inédits à Doncaster, la Spring Store Sale, s'est déroulée comme prévue... : mal.

 

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Tous les chiffres sont largement à la baisse, avec un pourcentage de vendus qui passe de 81 à 69% par rapport à 2023, et un prix moyen qui descend de 12%. Le top price, qui avait atteint 210.000 £ en 2023, plafonne à 135.000 £ cette année. Il reste 5 chevaux qui ont passé le cap des 100.000 £, plus 11 autres au dessus des 50.000 £. C'est à peu près la même chose que l'an dernier.

 

 

Donc, enfin mal... Il faut relativiser. Les arbres ne montent pas au ciel. Et on n'a pas constaté l'écroulement de la tour de Babel. On pourrait même se satisfaire que la bulle speculative n'a même pas explosé. C'est juste que le ballon s'est un peu dégonflé. L'élite reste sauve, mais tous les autres souffrent. Il va falloir désormais vérifier qu'on a bien tous les deux pieds sur terre, arrêter de faire exploser les frais de production. Les courses de chevaux, et sans doute plus encore en obstacle qu'en plat, restent une industrie de loisir, où l'excès de professionnalisme isole et conduit inexorablement à la chute solitaire. Ce qu'on appelle crever avec son pognon.

En regardant le top 10, on constate que 8 mères sont des "FR", dont celles des 7 premiers du classement. Mais seulement 4 produits sont nés en France, dont le dauphin Beau Speed, un fils de Beaumec de Houelle et de Tangaspeed, double gagnante de Listed en plat, et déjà mère des black-type Authorised Speed et Speedy Speed. Elevé par Laurence Gagneux au Haras des Eclos dans l'Orne, il était présenté par Johnny Collins (Brown Island Stables) et a été vendu 110.000 £ à l'agent Tom Malone pour le compte de l'entraineur Paul Nicholls.

 

 

Le même duo a d'ailleurs signé le top price à 135.000 £ pour un neveu du crack Master Minded par Jukebox Jury, présenté par Worthen Hall Stables (Willie Bryan). Son frère He Cant' Dance, gagnant en débutant en Point to Point, venait d'être vendu par un certain Rob James pour 300.000 £ à la Goffs Aintree Sale en avril. Le même Rob James a été le sous-enchérisseur du 3 ans. Finalement, cette vente qui se déroule en Nord de l'Angleterre, est restée très anglaise, avec des entraineurs les plus actifs comme Paul Nicholls pré-cité, mais aussi le très en forme Dan Skelton et autre Jamie Snowden.

 


Un chocolat  poulain vendu pour 70.000 £

 

Ce dernier, également avec Tom Malone, a payé 100.000 £ pour une pouliche "FR" nommée Style de Folie, élevée par Michel Guillois et Mme Reynald Jeanne. Il s'agit d'une fille du rare Vol de Nuit (Linamix), étalon soutenu par Yannick Fouin, avec une mère par le très rare Red Guest, qui avait déjà donné le bon Style de Garde, 2e de Gr.3 à Cheltenham en mars. Snowden a qu'il n'y captait rien aux origines, mais qu'il avait la personnalité d'un seigneur. Tant mieux.

Signalons enfin la vente pour 72.000 £ à Dan Skelton de Luniklido, un neveu de Rhialco par Karaktar, élevé par Michel Contignon, et la vente pour 70.000 £ à Highflyer de Talk the Talk, cousin d'Elimay par Born To Sea, élevé par l'Earl de Faydeau (Lune Vergette)... et tout jaune et blanc comme un chocolat Poulain !

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