La véritable histoire de Saltarelle, la dernière femelle gagnante du Jockey-Club, et de son jockey James Dick Hunter

31/05/2024 - Grand Destin
La toute dernière femelle lauréate du Prix du Jockey-Club, Saltarelle s'était imposée face aux mâles en 1874, sous la selle de l'anglais James Dick Hunter. Cette histoire vous est racontée par son arrière-petit-fils, John Gilmore.


 L'arrivée du Prix du Jockey-Club 1874 remporté par la pouliche Saltarelle a été immortalisée par le célèbre peintre français Louis-Charles Bombled.



Saltarelle et le jockey James Dick Hunter ont créé une surprise de taille en remportant le Prix du Jockey-Club en 1874 à la cote de 66/1, battant d'une tête le favori Premier Mai. Entraînée par Thomas Carter et appartenant à Edouard Fould, Saltarelle n'est devenue que la 8e pouliche à remporter le Jockey-Club, mais aussi la dernière ! Aucune autre pouliche n’a répété cet exploit au cours des 150 dernières années. Les dernières meilleures performances obtenues par des pouliches ont été réalisées en 1958, lorsque Bella Paola fut 2e à trois quarts de longueur de Tamanar et en 2008 par Natagora, magnifique 3e derrière Vision d’Etat et Famous Name.


Si les tentatives feminines sont devenues rarissimes, c’était souvent le cas au 19e siècle dans le Prix du Jockey-Club, voire de disputer également dans le foulée le Prix de Diane. A l'époque, les pouliches de 3 ans avaient l'habitude de courir contre leurs homologues masculins, puisque la première course classique sur 1600 m, le Prix d'Essai, était ouverte aux pouliches et poulains de 3 ans depuis sa création en 1840. Ce n'est qu'à partir de 1883, que la course fut divisée en Poule d'Essai.des Poulains et Poule d'Essai des Pouliches.

Cependant, deux pouliches ont remporté à la fois le Prix du Jockey-Club et le Prix de Diane la même année ; Lanterne en 1844 et Jouvence en 1853. Deux semaines après avoir remporté le Jockey-Club, Saltarelle et le jockey James Dick Hunter ne purent terminer que 4e derrière Destinée dans le Prix de Diane. Mais Saltarelle revint en forme lors de sa course suivante en terminant, dans une course serrée, 2e derrière le champion britannique Trent, dans le Grand Prix de Paris, qui était à l'époque la plus grande course de l'année en France.

La victoire de Saltarelle avait alors donné un formidable coup de pouce à la carrière de jockey de James Dick Hunter en France, un an seulement après son arrivée dans l'hexagone, en provenance des écuries de Tom Jennings, à Phantom House, à Newmarket. Lors de sa 1e saison, l'année précédente, James Dick Hunter s'était déjà distingué au plus haut niveau. Il avait déjà remporté le Prix Morny pour Augustus Lupin sur Perla, et le Grand Critérium sur Fideline pour le même propriétaire.



Fils d'un cordonnier, né dans une famille nombreuse en 1846 à Hartlepool (Durham) une sombre ville portuaire du Nord-Est de l'Angleterre, James Dick Hunter n'avait que 12 ans quand il est entré garçon d'écurie chez Edward Elliott, un célèbre entraîneur de son époque, à Richmond dans le Yorkshire. Il montra rapidement des aptitudes pour devenir un futur jockey et commença à monter comme apprenti à partir de 1860. Deux ans plus tard, après avoir monté 20 gagnants cette saison-là, il attira l'attention du meilleur entraîneur de Newmarket, Tom Jennings. Hunter passa les dix années suivantes en tant que jockey dans ses écuries Phantom House, mais cette longue période restera marquée par la frustration.

En effet, si Hunter a obtenu le plus grand succès de cette période lors du convoité Lincolnshire Handicap de 1864, en selle sur Benjamin sous la casaque française du Comte Frederic de Lagrange, portant un poids plume de 44 kilos. Mais en cette année, il n'avait monté que 16 courses, pour 2 victoires seulement ! La saison suivante, il n'a monté qu'un seul vainqueur. Il a fait sa meilleure saison en 1871, mais avec 10 succcès uniquement, et il est retombé à 2 victoires en 1872.

Le principal problème rencontré par Hunter chez l'entraîneur Tom Jennings était que ce dernier utilisait régulièrement les services de plusieurs jockeys seniors de haut niveau à cette époque ; comme Arthur Edwards, Harry Grimshaw, George Fordham et Henry Parry. Cela laissait à Hunter des opportunités limitées, sur des chevaux de niveau généralement inférieur. Au quotidien, il était utilisé comme cavalier de travail lors des galops d'entraînement chaque matin. La déception pour Hunter s'est encore aggravée lorsque Jennings avait dans ses boxes des  champions, notamment Fille De L'Air, Gladiateur, Mortemer et Reine, qu'il devait regarder courir depuis les tribunes.

 Après son mariage avec Elizabeth Burley en novembre 1872, Hunter décida de tenter sa chance en France. Grâce à des contacts noués avant de quitter l'Angleterre, il parvient à trouver un poste de jockey d'écurie auprès de Thomas Carter. Ce compatriote était installé à La Croix Saint -Ouen, au sud de Compiègne dans l'Oise, un site qui devint alors la rivale de Chantilly, où plusieurs familles d’origine anglaise s’installèrent. Thomas Carter, Né en 1830, il était le fils de Jonathan Carter qui travaillait chez Tattersalls à Newmarket.. Carter  a commencé à vivre à La Croix Saint -Ouen et à entraîner des chevaux de course en 1856. Puis Henry Jennings (le frère de Tom) est arrivé en 1866. La Croix Saint Ouen abritait alors l’écurie d’Edmond Blanc, Georges Rothera et celle de Jean Prat. C'était une autre époque. Aujourd'hui, c'est un site industriel avec des entreprises comme Matra électronique, menuiserie Copeaux & Salmon, et un centre commercial Leclerc.

 


Thomas Carter, l'entraineur qui a lancé Hunter en France, et sa femme.



Le facteur clé était que Thomas Carter avait déjà vu James Dick Hunter en action, lorsqu'il est venu en France pour un bref séjour en août 1867 à Deauville. Carter a été très impressionné par les compétences de jockey de Hunter, lorsqu'il avait fait appel à ses servives pour remporter le Grand Prix de Deauville sur Montgoubert, sous la casaque Comte Frederic de Lagrange.

A la Croix Saint -Ouen, Hunter devient premier jockey pour Thomas Carter, et commence à enchaîner les gagnants. Deux ans après avoir remporté le Prix Du Jockey Club sur Saltarelle, il a gagné le Prix de Diane sur Mondaine, entraînée par Carter et appartenant à Edouard Fould. Saltarelle et Mondaine étaient tous deux issus du même étalon Vertugadin, et élevés par Edouard Fould à son haras de St George près de Moulins, dans l'Allier, département dont il était député. A noter que ce domaine est toujours en activité, aujourd'hui sous la responsabilité de Clotilde et Antoine Domenjoud qui ont font grandir des chevaux d'obstacle.

Le Haras de Saint-Georges d'Edouard Fould a produit bon nombre d’autres chevaux de première classe entraînés par Carter et montés par Hunter dans les années 1870. La mère de Saltarelle, nommée Slapdash, a également donné naissance à Fervacques, vainqueur du Grand Prix de Paris 1867, Saxifrage (Prix d'Ispahan 1876) et Salteador (Prix Lupin 1879).

 


Edouard Fould, le propriétaire des plus grands succès de James Dick Hunter



Fould, qui fut membre fondateur de la Banque de Paris en 1869, décède en 1881, après quoi les exploitations de courses et d'élevage de son écurie sont mises en vente. Une grande partie est rachetée par les associés de l'ancien propriétaire, Soubeyran, Harcourt et Castries. A la mort de Castres en 1886 puis à la retraite de Soubeyran en 1890, la société est dissoute et le Haras de Saint-Georges est dirigé seul par Harcourt jusqu'au transfert de son cheptel au haras de Marly-la-Ville en 1910.

Fin 1876, Hunter termine 4e du championnat de France des jockeys, avec 27 victoires et deux ans plus tard il est champion avec 47 victoires. Il enchaîne en 1878 avec un 2e titre obtenu grâce à 55 victoires, et est de nouveau sacré en 1879. Mais sa carrière doit s'arrêter en 1885 à cause d'un accident de course et une blessure à la jambe. Il devint alors un petit entraîneur pendant un certain temps.

Mais déjà, avant son accident, s'il alignait les succès en tant que jockey, la vie sociale est devenue assez difficile pour Hunter. Sa femme Elizabeth est décédée en 1882, alors qu'elle n'avait que 29 ans, après avoir perdu un petit garçon de 4 mois l'année précédente. Hunter doit alors élever seul deux jeunes filles et un garçon. C'est la principale raison pour laquelle il a réduit son nombre de courses par saison au cours des trois dernières années suivantes avant son accident.

L’un de ses dernières grandes victoires en tant jockey fut obtenue avec la pouliche Yvrande dans la Poule d’Essai des Pouliches 1884 pour le propriétaire Auguste Lupin, entraînée par Georges Rothera. Hunter a également gagné la Poule d'Essai en 1881 avec le poulain Promothee, pour le même entraîneur et le même propriétaire. Thomas Carter,  qui a joué un rôle si important dans le succès de James Dick Hunter, est décédé à l'âge de 61 ans en 1891.

Hunter se retire finalement au début des années 1900 à Neuilly-sur-Seine. Au cours de sa brillante carrière de jockey en France, il avait judicieusement économisé son argent, ayant tiré les leçons des périodes difficiles au cours de sa vie antérieure en Angleterre, et a pu se retirer confortablement dans les quartiers bourgeois proches de Paris. Son fils Albert n'a pas suivi les traces son père, ayant trouvé un emploi dans un magasin de vélos à Paris. Hunter retourne en Angleterre pendant la Première Guerre mondiale en 1915 et revient chez lui à Neuilly après l'armistice en 1918.

Finalement, en 1930, il revint en Angleterre pour vivre à Cheam dans le Surrey, où résidait l'une de ses filles Katie avec sa famille, et vendit sa propriété en France. Trois ans plus tard, Hunter décède à l'âge de 87 ans après avoir mené une belle carrière de jockey de haut niveau en France, depuis des débuts modestes. Il était aussi mon arrière-grand-père, du côté maternel de la famille.

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